Le 18 décembre 2013, les classes des 2MM, des 1HE et des enseignants qui nous encadrent (Mme Mommessin, Mme Ouvrier-Buffet, Mme Naudin et M. Magdeleine) ont eu l’honneur d’avoir la visite de Halgurd Samad, journaliste Irakien, dans notre Lycée. Cette rencontre nous a intéressées, émues mais aussi révoltées.
Il nous a d’abord présenté le paysage médiatique de l’Irak. Sous le régime de Saddam Hussein, tout était contrôlé par le gouvernement. Après sa chute, en avril 2003, il y a eu une explosion de médias libres en Irak. Aujourd’hui, il y a environ 70 chaînes de télévision (de partis politiques, d’associations…) et il y a des milliers de journaux, de magazines, d’émissions. Il y a deux syndicats qui défendent la presse et trois lois qui concernent les médias et qui ont été remises à jour en 2007. Ces lois précisent qu’il est interdit d’arrêter et d’emprisonner les journalistes alors qu’avant, des journalistes pouvaient rester en prison pendant des mois voire des années. On a même créé la journée nationale du journalisme, qui a lieu le 25 juin. Il y a donc un grand intérêt pour la presse et beaucoup de médias libres dans ce pays mais aussi beaucoup d’assassinats de journalistes.
Entre 2003 et décembre 2013, 267 journalistes ont été assassinés. 194 journalistes ont été tués par des armées inconnues. Il y a 43 journalistes qui sont morts dans des attentats, 22 tués par l’armée américaine et deux par l’armée irakienne. La dernière était une journaliste de la ville de Mossoul au nord de l’Irak. Elle a été tuée le 15 décembre. Juste dix jours avant, un journaliste kurde a été assassiné devant son domicile au Kurdistan par des inconnus mais toujours à cause de leur métier.
« Parmi les journalistes assassinés, malheureusement, j’ai perdu trois amis très proches. Le premier avec lequel j’avais travaillé pour le magazine Lvin a été assassiné, en 2003, au Kurdistan irakien dans la ville de Kirkouk. Le second, Sardasht Osman, avec qui j’étais à la faculté et qui étudiait la littérature anglaise comme moi, a été kidnappé au Kurdistan le 4 mai 2010 juste avant mon départ. Deux jours plus tard, il a été retrouvé mort à Mossoul. Le troisième ami, c’est celui dont je vous ai parlé, Kawa Germyani, qui a été assassiné le 5 décembre 2013. »
Il nous a aussi expliqué, qu’à son arrivée en France, il a été accueilli par la Maison Des Journalistes. C’est une association créée en 2002 à Paris pour accueillir les journalistes exilés. Jusqu’à présent, elle a accueilli à peu près 500 journalistes et les a aidé à intégrer la société française et à continuer ce métier. L’association bénéficie du soutien de nombreux médias et de quelques entreprises.
- Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir journaliste ?
Halgurd Samad : J’ai commencé trop tôt, j’avais dix-neuf ans quand je suis devenu professionnel après avoir acquis de l’expérience en écrivant quelques articles et fait quelques interviews. C’est un métier très créatif, très dynamique.
- Quand vous avez pris la décision de faire ce métier, vous ne saviez pas que c’était dangereux ?
Halgurd Samad : Au début, ça ne l’était pas. La liberté d’expression était toute nouvelle mais le risque a augmenté après la chute de Saddam Hussein.
- Pourquoi est-ce que les journalistes n’ont pas le droit de s’exprimer en Irak ?
Halgurd Samad : On peut s’exprimer mais on nous tue. Il y a partout des médias indépendants mais certaines personnes ne comprennent pas le travail des journalistes. Par exemple, si l’on dénonce la malhonnêteté de certains employés d’un ministère, ils peuvent réagir très agressivement. Moi, je travaillais surtout comme journaliste politique et j’ai beaucoup dénoncé la corruption. C’est à cause de ça que j’ai reçu beaucoup de menaces. Chaque fois que j’ai publié des interviews ou des analyses sur des membres du gouvernement, leur entourage ou des responsables de partis politiques, j’ai reçu des menaces de mort par SMS, par mail, par téléphone. Ce n’était pas des appels en inconnu, je pouvais voir les numéros. J’ai porté plainte auprès du tribunal du Kurdistan deux fois mais sans effet. En fait, c’est moi qu’ils ont mis en examen. Mais je sais très bien qui tue et menace. Ça ne peut pas être des gens normaux, ce sont des gens armés et les armes sont dans les mains des membres des partis et du gouvernement.
- Avez-vous déjà interviewé des personnalités connues ?
Halgurd Samad : En Irak, oui, par exemple le premier ministre, le vice-président, des députés … je connais personnellement presque tous les politiciens irakiens et kurdes.
- Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple de corruption ?
Halgurd Samad : La plus grande part du budget irakien repose sur le pétrole. Alors, comme on sait combien on exporte de pétrole par jour, on peut faire les comptes et voir qu’il manque beaucoup de barils.
- Qu’est-ce que vous entendez par des hommes armés inconnus, c’est des milices ?
Halgurd Samad : C’est comme la mafia. Des mafieux tuent les gens. Dans le cas de mon collègue, on connait les noms et les prénoms de ses assassins mais on nous demande de le prouver et ce n’est pas facile. Ça devrait être le travail de la police.
- Avez-vous encore de la famille en Irak ?
Halgurd Samad : Oui, j’ai de la famille là-bas mais je ne peux pas rentrer. Pour rencontrer ma mère et mon frère, en septembre, on s’est donné rendez-vous à mi-chemin, en Turquie. J’aimerais pouvoir rentrer mais j’ai peur que la situation ne s’améliore pas avant des centaines d’années.
- Pourquoi est-ce que vous avez choisi la France ?
Halgurd Samad : C’est pas moi qui ai choisi la France, c’est la France qui m’a choisi. Depuis 2006, j’ai reçu des menaces à peu près tous les jours donc, le 22 août 2010, j’ai été obligé de quitter le pays et je suis allé en Turquie. C’est Reporters sans frontières, une association internationale qui défend les journalistes en danger, qui m’a proposé un visa français et je n’avais pas d’autre choix (rires). Mais j’aime vraiment la France. J’avais lu votre littérature française en anglais et vos paysages ressemblent beaucoup à ceux du Kurdistan.
- Avez-vous demandé la nationalité française ?
Halgurd Samad : Non, pas encore. Je suis apatride en fait. Je n’ai plus la nationalité irakienne. On m’a pris mon passeport quand j’ai quitté mon pays et je suis réfugié politique en France. Si je veux voyager hors de l’Europe, il me faut un visa.
- Que deviennent les réfugiés ?
Halgurd Samad : Ce n’est pas facile d’être réfugié. Pour moi, c’est une expérience, une autre vie à côté de ma vie normale. Quand je suis arrivé, je ne parlais pas un mot de français et ça n’a pas été facile d’apprendre la langue, de chercher du travail, de m’intégrer et tout ça en même temps. Au bout de huit mois, j’ai quitté la Maison des Journalistes et maintenant, je crois que je suis bien intégré dans la société française, ça va rendre ma vie plus normale. A présent, je suis kiosquier, je vends des journaux à Paris et j’ai aussi créé une web radio bilingue français-kurde RFK et j’essaie de la développer. Pour l’instant, la plupart de notre audience est en Irak .
Renvoyé
spécial est une opération organisée
par la Maison des journalistes et le CLEMI, avec le soutien
financier de Presstalis. Son but est de sensibiliser les
lycéens à la liberté
d’expression et au pluralisme dans les médias par
la rencontre avec un/e journaliste réfugié/e
politique en France.
Pour en savoir plus :
un article sur Halgurd Samad sur le site de Reporters sans frontière
Suivez Déo, un journaliste congolais réfugié, dans un reportage de l’agence CAPA sur la Maison des Journalistes réalisé pendant la 21e semaine de la presse et des médias à l’école.
Visionnez la vidéo (5min) sur capatv.com
Vous pouvez aussi écouter l’intégralité notre émission :
http://lyc-paul-gauguin-orleans.tice.ac-orleans-tours.fr/php5/spip.php?article178